Dette SNCF : qui la paie vraiment ? Analyse complète

Ticket de train français au-dessus de pièces euros illustrant la dette SNCF

La reprise de 35 milliards d’euros de dette SNCF par l’État en 2018 n’a pas refermé le dossier. Loin de là. La dette continue de gonfler, alimentée par les investissements ferroviaires, le modèle économique du secteur et des choix de gestion hérités du passé. Derrière cette opération, une question de fond : qui, au juste, porte ce fardeau ? La SNCF n’est plus seule à la manœuvre ; l’État s’implique, les comptes publics trinquent et, en filigrane, chaque contribuable français se retrouve dans la boucle.

Dette de la SNCF : comprendre son origine et son évolution

Impossible de cerner la dette SNCF sans revenir à ses racines. Au tournant des années 1990, le rail français subit une mue profonde, sous l’impulsion des institutions européennes. La création de Réseau ferré de France (RFF) s’impose : il faut découpler la gestion du réseau ferré de l’exploitation des trains. Cette séparation n’a rien d’anecdotique ; elle s’accompagne d’un transfert massif de dettes, près de 20 milliards d’euros, de la SNCF vers RFF dès 1997.

Ce basculement n’a pas pour autant tari le flot de dettes. À chaque nouvelle ligne à grande vitesse, à chaque extension du maillage ferroviaire, l’ardoise s’alourdit. Les années 2000 voient la France investir à tour de bras pour maintenir son rang de pionnière du TGV, enchaînant projets d’infrastructure et modernisation du réseau. La fusion RFF/SNCF Réseau, en 2014, ne freine pas l’hémorragie : la dette dépasse alors 40 milliards d’euros, et le compteur ne s’arrête pas là.

En 2018, l’État décide de reprendre 35 milliards d’euros de dette SNCF Réseau. Pourtant, la charge ne disparaît pas, elle change seulement de colonne dans le grand livre comptable de la nation. Le mécanisme d’annexe amortissement dette (SAAD) reste en place, prolongeant la gestion de cette dette hors du seul giron de l’entreprise publique. D’année en année, la question du financement du service public ferroviaire demeure épineuse. Comptes de la SNCF, budget de l’État, participation des usagers : tous ces acteurs restent liés par le fil d’une dette construite sur des choix industriels et politiques, parfois difficiles à détricoter.

Pourquoi la dette s’est-elle autant creusée au fil des années ?

La dette SNCF s’est construite comme une accumulation patiente, parfois aveugle, de décisions et d’ambitions nationales. Après la Seconde Guerre mondiale, la France se relève. Le réseau ferroviaire, épuisé par les conflits, réclame des fonds considérables. Les investissements s’enchaînent, le déficit s’installe.

À partir des années 1980, changement de cap : la France s’impose comme leader du TGV, avec la construction de lignes nouvelles à grande vitesse. LGV Atlantique, LGV Méditerranée… chaque projet coûte plusieurs milliards d’euros. L’État incite, la SNCF et RFF empruntent. La dette grimpe à mesure qu’on privilégie le neuf, parfois au détriment de la rénovation du réseau existant. Résultat, une ardoise qui se charge encore un peu plus à chaque inauguration.

Le cercle est vite bouclé : les dépenses d’investissement s’accumulent, mais les recettes d’exploitation ne suffisent jamais à couvrir les intérêts ni à rembourser le capital. L’État, garant du service public, temporise, repousse les réformes structurelles. Petit à petit, la dette RFF, puis SNCF Réseau, franchit la barre des 50 milliards d’euros. L’opération de reprise par l’État, en 2018, soulage sans régler la question de fond.

Ce modèle, longtemps fondé sur l’endettement et l’expansion, laisse un héritage difficile à appréhender dans toute sa complexité.

Qui supporte réellement le poids financier de la SNCF aujourd’hui ?

La répartition du fardeau n’est plus une simple affaire de comptes internes. Plusieurs acteurs assument, chacun à leur niveau, une part du financement du service public ferroviaire. Voici les principaux contributeurs :

  • L’État : il verse chaque année des subventions d’exploitation et d’investissement, injectant plusieurs milliards d’euros pour assurer la continuité du service public, l’entretien et la modernisation des infrastructures.
  • Les collectivités territoriales : elles financent les TER et Intercités, versant des contributions directes à la SNCF via les autorités organisatrices de la mobilité.
  • Les voyageurs : à travers le prix du billet, ils participent au chiffre d’affaires de la SNCF, même si cette contribution ne suffit pas à éponger la dette.

En réalité, la dette SNCF s’étend à l’ensemble des citoyens, via les comptes publics. Chacun, utilisateur du train ou non, prend sa part, conséquence d’un choix collectif d’assurer partout un service ferroviaire. Ce modèle, qui vise à irriguer tout le territoire, n’a rien d’anodin : il engage la collectivité dans la durée et relance régulièrement le débat sur la répartition du coût et la capacité du pays à soutenir un tel modèle.

TGV traversant un viaduc avec passagers en attente sur le quai

Quelles pistes pour maîtriser ou résorber la dette à l’avenir ?

Le montant de la dette SNCF, qui dépassait encore 35 milliards d’euros fin 2023 pour SNCF Réseau, reste une source d’inquiétude. Les analyses de la Cour des comptes le rappellent régulièrement : il ne s’agit pas d’un simple problème technique, mais d’un sujet de société, touchant à l’équilibre des finances publiques et à la réflexion sur le modèle ferroviaire à défendre.

Plusieurs leviers sont envisageables pour éviter l’emballement. Du côté de l’État, le plan de relance de 2020 a permis d’alléger une partie de la charge, mais le stock restant pose encore question. Il s’agit désormais de calibrer précisément les concours publics, d’éviter les annonces sans financement et de conditionner toute nouvelle intervention à une stratégie rigoureuse de désendettement.

Pour SNCF Réseau, revoir la liste des investissements s’impose. Moins de projets pharaoniques, plus de rénovation du réseau existant, un tri selon la fréquentation réelle : voilà des pistes concrètes pour éviter que la dette ne s’envole à nouveau.

Enfin, la diversification des recettes et l’évolution de la tarification constituent d’autres axes. Mieux valoriser les recettes commerciales, développer de nouveaux modèles économiques (redevances, partenariats public-privé), améliorer la gestion du patrimoine immobilier : toutes ces voies pourraient, à terme, desserrer l’étau financier qui pèse sur la SNCF et sur l’État.

La dette SNCF n’est pas qu’une ligne sur un bilan. Elle matérialise des décennies de choix, d’ambitions et d’arbitrages. La question n’est plus seulement de la réduire, mais de savoir, collectivement, quel avenir la France veut dessiner pour son rail et pour ses finances publiques.